ORDER : L’évangile selon Saint Manheim

Si vous trouvez les derniers enregistrements de Mayhem trop propres et êtes nostalgiques de l’ambiance sombre et malsaine de la première mais aussi seconde vague black metal norvégienne (fin des années 80/début des années 90), alors penchez-vous sur le cas Order et leur divin second chapitre, The Gospel. Nettement plus orienté black metal que son prédécesseur Lex Amentiae, on y retrouve toute cette ambiance héritée naturellement du passé de ses auteurs au prestigieux CV, avec ce qu’il faut d’innovation en plus de nos jours en 2021. [Entretien avec Kjetil Manheim, batterie, et Anders Odden, guitare, par Seigneur Fred – Photos : DR]

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Quelles conclusions tirez-vous de votre premier album studio Lex Amentiae paru en 2017chez Listenable Records car nous l’avions beaucoup aimé et pour un premier album, je crois qu’il a plutôt reçu un assez bon accueil dans la presse métal, n’est-ce pas ? Qu’en penses-tu quatre ans plus tard ?
Manheim : Merci, et oui, nous avons eu de très bons accueils sur cet album de la part de la presse métal. C’était bien. C’est un bon album avec des chansons solides dessus. Il a également été bien reçu en live, et c’était génial de faire des concerts avec ces chansons. Malheureusement, pour de nombreuses et diverses raisons, nous n’avons pas eu l’occasion de beaucoup tourner pour promouvoir davantage l’album. C’est dommage car je pense qu’il mérite plus d’attention qu’il n’en a reçue. Mais c’est ainsi, je pense que l’album résiste bien tout seul aujourd’hui et représente la première représentation solide de ce que peut être Order. Cela dit, notre nouvel album se situe à un niveau totalement différent.

En comparaison justement avec votre nouvel album The Gospel, comment présenterais-tu spontanément le nouveau matériel par rapport à Lex Amentiae ?
Il n’est pas toujours juste ni évident de mettre deux albums ensemble et de les comparer, mais si nous devions essayer de faire une comparaison à présent, je dirais que Lex Amentiae est une excellente collection de chansons donnant une bonne idée du potentiel d’Order, tandis que The Gospel est un album bien plus personnel qui montre au mieux à quel point la formule d’Order est forte aujourd’hui.

Vous vous êtes donc produits un peu sur scène en 2017 et plus tard pour soutenir Lex Amentiae sur scène en Europe, peut-être aussi en Amérique ? En fait, Order n’est-il qu’un groupe de studio en fin de compte ?
Je comprends ta question. C’est dommage que nous n’ayons pas pu tourner plus à la sortie de Lex Amentiae comme je te le disais, et surtout après, cependant, les circonstances ont rendu alors les concerts difficiles. D’abord l’album a été retardé, ce qui a causé beaucoup de problèmes, puis Anders Odden (guitare) a dû faire à part une longue tournée mondiale qui devait être prioritaire. Cela a vraiment mis une pause pour Order au pire moment possible d’une sortie d’album… Après cela, il a fallu beaucoup de va-et-vient avant que nous puissions enfin nous concentrer à nouveau sur nous-mêmes avec Order et notre musique. Mais Anders est tombé malade d’un cancer… Heureusement, il a réussi à passer le traitement avec un résultat positif et a été considéré comme guéri, c’est-à-dire sans rémission de cancer, à la fin de l’été 2020. Nous avons fait des concerts en Norvège, avant qu’Anders ne tombe malade, mais il n’y avait pas de place pour les tournées, tout fut annulé avec le covid-19 dans le monde. Nous espérons que cela change, mais la situation de Covid-19 a suspendu toute l’industrie du concert et la plupart des concerts prévus dans le monde même pour 2022 ne sont que les réservations de 2020 avancées. Nous verrons ce qui se passera après la sortie de The Gospel. J’espère qu’il sera reçu comme le grand album que nous pensons être, et que cela nous permettra de faire des festivals et des mini tournées internationales comme celui que nous prévoyons en Pologne l’année prochaine par exemple, qui était initialement prévu pour octobre 2020. Hormis les concerts en Pologne et une tournée en Norvège cet automne, nous n’avons encore rien réservé. J’adorerais venir jouer pour Order en France. Espérons que nous pourrons le faire l’an prochain, mais nous sommes conscients que la majeure partie de 2022 est déjà réservée. Nous devrons juste attendre et voir ce qui se passe…

OK. Du coup, quand a été composé ce second album The Gospel ? Était-il déjà composé et écrit juste après la sortie de Lex Amentiae et c’est-à-dire peut-être avant l’arrivée de la pandémie du Covid-19 alors ; ou peut-être que le confinement que nous avons tous vécu (moins en Norvège cependant, je crois) l’année dernière jusqu’au début de 2021 qui vous a obligés à rester chez vous dans votre pays et vous a interdit de voyager et de prendre la route pour tourner à l’étranger fut en fait bénéfique pour Order et travailler sur de nouvelles choses afin d’enregistrer The Gospel tranquillement dans le home studio d’Anders Odden ?
Tout le matériel de The Gospel a été écrit dans la seconde moitié de l’année 2020. Nous avions beaucoup de matériel des quatre années écoulées depuis Lex Amentiae, mais il était fragmenté et pas tout à fait au stade où nous pensions être pour un nouvel album d’Order. Je suppose que cela correspondait assez bien à la situation dans laquelle se trouvait le groupe depuis la sortie de Lex Amentiae. Nous avons donc décidé de tout jeter et de recommencer totalement à zéro lorsque nous nous sommes réunis à nouveau l’été dernier (2020). Cela s’est avéré être la bonne chose à faire, et à la fin de l’année, on avait acquis une très bonne collection de chansons que nous avons commencées à enregistrer en février. L’ensemble du processus de composition et d’enregistrement a été intense, créatif et très productif, ce qui devrait être toujours le cas. Avec le recul, je pense que l’on a probablement eu besoin de ces quatre années depuis Lex Amentiae, avec tous ses événements malheureux et ses éternels reports pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui avec Order, musicalement. À bien des égards, nous sommes passés d’une période d’attention fragmentée du groupe à la fermeture totale pour cause de Covid-19 qui nous a permis en fait de vraiment nous concentrer sur l’écriture de chansons. Cela a été un processus très libérateur pour nous. Avoir le luxe de répéter dans le même studio où nous avons enregistré l’album a également été bénéfique pour le processus créatif et technique. Cela nous a permis de prendre notre temps pour explorer davantage les chansons avant de finaliser l’album. Je n’appellerais pas le studio d’Anders un home studio. Il s’agit d’un studio entièrement équipé situé dans une de ses propriétés, mais il n’est pas situé près de chez lui là où il vit.

À propos du nom Order, pourquoi d’ailleurs ce choix de nom au lancement du groupe en 2013 ? Était-ce un clin d’œil ou une blague privée entre vous en lien avec Mayhem, votre célèbre groupe commun d’autrefois que tu as fondé avec Necrobutcher un jour de 1984, avant l’arrivée de ton collègue de toujours, Messiah, comme chanteur, et un certain Euronymous qui en changea le nom de « Musta » (signifiant « noir » en finnois) pour Mayhem ? Rappelons aux non anglophones que Mayhem signifie « chaos » en anglais alors que l’ordre (« Order » donc) représente son total contraire… (sourires)
Hé hé !! (rires) Bonne analyse. On pourrait dire que c’est le cas, mais ce n’est pas tant une blague qu’un commentaire. Nous voulions en fait venir du passé pour mettre de l’ordre. Nous ne sommes pas le vin nouveau, pour ainsi dire, mais nous visons à apporter des sons et des sensations du passé au présent avec une musique qui semble également nouvelle pour notre public. J’espère que nous réussirons à tendre vers cela.

Et pourquoi ce nom de The Gospel maintenant pour ce deuxième acte studio ? Voulez-vous prêcher la bonne parole du Diable ici sur ces nouvelles chansons en quelque sorte ? (rires)
Non, cet album n’est pas du tout un combat de religion ! Alors que nous regardions le monde qui nous entoure avec Lex Amentiae, ce nouvel album The Gospel est plutôt un voyage en nous-mêmes. Le titre « L’Évangile » (« The Gospel » en anglais donc) fait référence à deux choses. Premièrement, les paroles de toutes les chansons, à l’exception de la chanson-titre, parlent de la douleur et de la lutte qui accompagnent le fait d’être humain, dont nous ne pouvons pas nous séparer sans nous perdre. En fait, c’est un album très ésotérique et personnel qui apporte un gospel qui vous dit que la douleur d’être humain est réelle, et que vous devez vivre pour la supporter. Deuxièmement, la chanson-titre raconte une histoire vraie qui lui est propre, un gospel ou une histoire si tu veux, et c’est quelque chose qui s’est véritablement passé.

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Eirik Skyseth Norheim alias « Messiah », l’actuel chanteur d’Order et ex-vocaliste de Mayhem (1985-1986)

Justement, j’ai lu que toutes les paroles du nouvel album ont été écrites par Messiah, en particulier les paroles de cette chanson-titre « The Gospel » qui ont été inspirées par une histoire vraie que Messiah aurait donc vécue ou lue, je crois… Je ne connais pas tout précisément. Alors pourrais-tu en donner les détails ici par rapport aux paroles ?
Non, en fait c’est plutôt le contraire. (rires) Messiah n’a écrit que les paroles de la chanson-titre, « The Gospel ». Toutes les autres paroles ont été écrites par moi, avec des contributions aussi d’Anders aux paroles de « Gal.Lu » et Messiah sur « Bringer of Salt ». Alors, en résumé, toutes les autres chansons de l’album parlent de lutte intérieure, de douleur, d’automutilation psychologique, de désespoir et d’anxiété, la chanson-titre « The Gospel » raconte, elle, sa propre histoire (un gospel, un évangile) à propos d’un groupe de quelques personnes qui se sont réunies à un moment donné, et comment ils se sont liés et ont construit quelque chose dont on se souvient aujourd’hui. Les paroles sont un peu hermétiques intentionnellement. Mais cherchez bien les indices donnés dans le texte et cela deviendra très clair pour savoir de quoi parle l’histoire…

Musicalement, le sang de Mayhem qui constitue votre ADN primitif coule encore dans les veines des nouvelles chansons d’Order en 2021 à cause de votre passé commun à toi et Messiah (chant), et votre présence commune au sein du groupe. D’ailleurs, peut-être que The Gospel sonne plus brut, plus sombre, et plus orienté black metal que votre premier album Lex Amentiae par conséquent, qui lui était davantage influencé par le death metal et un peu moins par le black metal. Il y avait surtout des influences Celtic Frost (période Morbid Tales mais aussi Monotheist) à cause de la collaboration live d’Anders Odden avec Celtic Frost en 2007… Partages-tu mon avis, quelques mois après l’enregistrement des nouveaux morceaux avec un peu de recul ? As-tu eu ce sentiment naturel et cet objectif en vue pendant la composition et l’écriture, et l’enregistrement donc de ce second album The Gospel ?
Eh bien, comme je l’ai déjà dit précédemment, je trouve que Lex Amentiae est un album qui s’inscrit sur notre chemin pour trouver le cœur de ce que devrait être Order… J’aime beaucoup l’album et je suis d’accord avec toi pour dire qu’il s’agit d’un ensemble de chansons qui s’inscrit dans cette tradition black. Mais je ne pense pas que la période Celtic Frost d’Anders ait nécessairement changé la façon dont nous sommes influencés par Hellhammer et Celtic Frost, bien que ce soit tout à fait possible. Par contre, je suis totalement d’accord avec toi pour dire que The Gospel est plus sombre et beaucoup plus brut mais aussi plus proche de nos racines du black metal. Je dirai que The Gospel est au cœur de nos racines musicales. Avec ce nouvel album, j’ai l’impression que nous avons libéré notre potentiel à un degré beaucoup plus élevé, et nous vous laissons pénétrer au plus profond de nous-mêmes. J’ai déjà dit dans d’autres interviewes qu’à présent se réunir avec Order en 2013 pour refaire du metal était comme rentrer à la maison. Avec The Gospel, moi, Messiah mais aussi Anders, avons l’impression d’être arrivés au cœur d’où nous venons. Je dirais que l’album sonne comme quelque chose qui aurait pu être fait quelque part entre l’ère Deathcrush de Mayhem et le black metal norvégien du début des années 90 en général, mais ça sonne toujours comme s’il date de 2021. Notre vision était de tout lâcher et de nous laisser tomber dans les profondeurs de notre volonté la plus profonde afin de créer un album intense et sincère. Je crois que nous avons réussi. On croit vraiment entre nous dans le groupe que The Gospel est un album très fort et espérons que nos fans ressentiront la même chose.

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Kjetil Manheim, batteur officiel d’Order, et ex-cogneur de Mayhem (1984-1987)

Qui a produit The Gospel et dans quel(s) studio(s) a-t-il été enregistré et mixé ? Anders Odden était-il en charge de la production sonore et du mixage peut-être comme il l’a fait avec les récents EP et LP de Cadaver (chroniques disponibles sur notre site internet) qui étaient des enregistrements de Death Metal à la fois très modernes, puissants et bien produits en Norvège ? Je trouve ces nouvelles compositions d’Order puissantes mais en même temps brutes, avec une approche old school dans le son ?
L’album a été enregistré aux Tomb Studios et toutes les chansons de l’album sont écrites et produites par Anders, en effet, et moi-même. Cela me fait plaisir d’entendre que tu trouves The Gospel à la fois puissant et brut avec un son old school reconnaissable. Nous avons passé beaucoup de temps à trouver le bon son et la bonne expression des chansons de cet album. On voulait que l’album sonne nouveau et frais, et en même temps apporte une sensation et un goût de la tradition old school que nous représentons forcément du fait de notre passé, sans le rendre obsolète et daté pour autant. Je crois que nous avons réussi à le faire. De plus, James Dunkley, qui avait mixé et masterisé notre première démo Folly Grandeur (autoprod. 2016), a réalisé le mixage final et le mastering. Je pense donc qu’il a fait un excellent travail.

Sur des morceaux comme « Gal. Lu » ; l’intro de « Lust », ou sur les deux interludes « Tomb » et « Pneuma II, Order sonne assez noisy, et plutôt industriel. C’est toi, Manheim, qui a composé ces quatre morceaux ? Ils me rappellent des choses plus avant-gardistes justement qu’a fait Mayhem quand tu n’étais plus dans le groupe (sur l’album The Grand Declaration of War en 2000), mais surtout le passé de L.E.G.O., ton mystérieux side project avec le regretté Euronymous (R.I.P.). Ces morceaux ont-ils été inspirés par ton projet L.E.G.O. de l’époque ?
Le thème du piano dans « Pneuma » et « Pneuma II » est quelque chose que j’ai en moi depuis très longtemps, cependant toutes les chansons, y compris les parties expérimentales, sont le résultat d’Anders et moi car nous composons ensemble. Cela a été un processus très créatif, intense et libérateur. Tu sais, j’ai passé une grande partie de mon temps musical depuis Mayhem et L.E.G.O. à travailler sur de la musique expérimentale et d’avant-garde et du bruit, il semble donc naturel pour moi d’apporter des éléments de ce genre dans l’écriture des chansons pour Order.

Sur The Gospel, votre bassiste Stu Manx s’est-il davantage impliqué cette fois-ci dans la composition pour ce deuxième album, et a-t-il apporté l’expérience de son ancien groupe Hard Rock Gluecifer par exemple ici ou là ?
Stu est un excellent bassiste et parvient vraiment à exploiter tout le potentiel des chansons sur cet album. Je pense que son expérience dans des groupes comme Gluecifer apporte un style de jeu qui contribue vraiment à l’expression unique d’Order. Ni lui ni Messiah (chant) n’ont fait toutefois partie de l’écriture de la chanson cette fois-ci. Ce n’était pas l’intention quand nous avons commencé à travailler sur l’album, mais quand Anders et moi avons touché commencé à travailler et toucher la corde sensible, vu que l’on tenait quelque chose, nous avons juste suivi la muse pour voir où cela nous menait… Et voilà le résultat : The Gospel !

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Anders Odden (guitariste d’Order, producteur), mais aussi principal membre de Cadaver, ex-Cadaver Inc., Satyricon (live), ex-Celtic Frost

Anders : es-tu toujours en contact personnellement avec Tom G. Warrior, ainsi que Satyr et Frost (Satyricon) au fait ? As-tu des projets de collaboration avec eux, pour un nouvel album de Satyricon ou bien Triptykon en studio ? Ou alors prévois-tu avec eux une tournée de Satyricon lors du retour des concerts en fin d’année ou l’année prochaine dans le monde ?
Anders : J’ai plus ou moins fait partie de Satyricon et continue de l’être depuis 2009, tu sais. Si tu lis bien les crédits sur les albums Live at the Opera et Deep Calleth Upon Deep, tu constates que j’enregistre également la guitare et basse avec eux, en plus de faire partie régulièrement de leur groupe en tant que membre de session live. Quant à Tom G. Warrior, il est et sera un ami pour le reste de notre vie. Nous avons partagé ensemble certains des meilleurs moments live de Celtic Frost (NLDR : en 2007 avant le split) et je ne serais pas là où je suis aujourd’hui sans lui/eux. Pour les concerts, aucune idée à cette heure pour le moment (ndlr : entretien réalisé en septembre 2021).


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