MUR : Action ou vérité ?

Pas évident à l’heure actuelle de faire parler de soi sur scène quand on est artiste, surtout par les temps qui courent… Cela, Mur l’a bien compris, et a décidé d’agir coûte que coûte en alternant les enregistrements au format court (EP ou single) et long (album) afin d’être tout de même présent sur la scène musicale. On pourrait qualifier Mur de Post Black Metal/Electro/Post Hardcore mais gare aux étiquettes bien souvent trop réductrices puisque sur son nouvel EP baptisé Truth, le groupe français affirme un peu plus encore son identité sonore après la déflagration de Brutalism. Un an et demi après la sortie de son premier album, nous avons refait le point avec son batteur et parolier, Julien. [Entretien avec Julien Granger (batterie) par Seigneur Fred – Photo : Alexandra Mocanu]

Comment allez-vous depuis octobre 2019, date à laquelle vous avez sorti votre premier album studio Brutalism qui a plutôt bénéficié de bons retours dans l’ensemble et que nous avions aimé à Metal Obs pour son côté fusionnant et innovant ? Quel bilan dressez-vous de ce premier effort longue-durée ?
Brutalism a été pour Mur une réussite, tant sur le point de la réalisation du disque que sur la réception par les professionnels et par le public. Nous avions passé un temps certain à l’écriture de ce disque et avions investi beaucoup d’énergie dans sa production. Le retour d’énergie a été à la hauteur de ce que nous avions mis dedans. Beaucoup d’énergies positives donc.

A l’époque lors de notre entretien à l’automne 2019, tu nous avais alors confié, Julien, à la fin de l’interview par email que vous vous apprêtiez à partir tourner et écriviez déjà la suite de Brutalism… Comment se sont passés les concerts pour Mur ? Avez-vous pu jouer live en France et ailleurs entre la sortie de l’album et le début de l’épidémie de covid-19 survenue début 2020 (il y a un an déjà…) ?
La crise sanitaire a stoppé le groupe dans la promotion de Brutalism. Bien que nous ayons assuré la promo presse et médias au-delà de ce que nous pensions, nous n’avons pas pu défendre le disque sur scène autant que notre agent l’avait prévu. Nous avons malgré tout pu jouer quelques shows avant la crise, oui, mais nous avons dû annuler un bon nombre de dates et une tournée était en cours de booking quand les salles ont fermé…

Par conséquent, les situations à la fois sanitaire et culturelle actuelles ont-t’elles compromis vos plans et certains projets (live, vidéo, festivals, etc.) pour Mur, et a contrario accélérer le travail de composition et l’enregistrement en studio de ce nouvel EP intitulé Truth ?
Aucun de nos projets n’a été compromis par la situation ; nous avons vite compris que le live serait remis à plus tard et qu’il s’agissait d’investir son énergie ailleurs. Nous n’avons, pour ainsi dire, pas quitté le studio et avons composé et enregistré un single dans la foulée de Brutalism, « Black Core ». Nous avons sorti ce dernier en digital et accompagné d’un clip en août 2020. Le morceau a connu un très bon accueil. On est resté en studio et nous avons composé et enregistré Truth dans la foulée. La situation sanitaire a, certes, transformé certains processus de travail, mais ne les a pas ralentis pour autant, bien au contraire.

Quand avez-vous composé ces cinq nouveaux titres ou bien sont-ils issus de la session studio de Brutalism ou d’une démo que vous avez pris le temps de peaufiner depuis 2019 ?
Nous avons composé Truth assez rapidement en fait, après que la situation sanitaire ne se dégrade. Ces cinq morceaux ont été écrit alors que Brutalism avait été enregistré depuis bien longtemps. Ce sont deux disques distincts, en termes de temporalité. Ce qui les unit, en revanche, c’est l’énergie que Mur y a placée, ce qui leur donne cette parenté unique : le son de Mur.

Quelle est donc cette « vérité » exprimée à travers le titre « Truth » de cet EP cinq titres ? Comme peut-être le personnage de Fox Mulder dans X-Files : Aux Frontières du Réel (rires), pensez-vous que « la vérité est ailleurs », et es-tu personnellement adepte de la théorie du complot en pensant que le gouvernement nous cache certaines vérités ou bien LA vérité absolue sur certaines choses ? (exemples : on n’a pas marché sur la Lune ; les attentats du 11/09/2001 n’ont pas eu lieu notamment sur le Pentagone, etc.)
La théorie du complot peut être un passe-temps, chronophage certes, mais doit rester un passe-temps. Le propos et la « vérité » de ce mini-album sont tout autres sur Truth. Il ne s’agit pas ici du tout d’un quelconque sens caché ou occulte. Ce disque traite de l’effondrement. Celui du monde qui nous entoure, qui selon nous, commence avec l’effondrement de l’individu à l’intérieur de lui-même. C’est cet individu qui s’oublie, cesse de s’entendre, de s’écouter et qui s’abandonne. On passe d’une révélation (la chanson « Epiphany ») on parvient à une vérité (« Truth »), or notre propos, ici encore, est d’envisager le dépassement de la fin, pour parvenir au renouveau du pacte de chacun avec lui-même. S’il y a un ailleurs de la vérité, elle se trouve, selon nous, en chacun de nous, et on peut sans doute en percevoir quelques attributs en entrant en résonance avec notre milieu, l’autre.

L’été dernier (2020), Mur a publié uniquement en digital le single « Black Core » sur le label Les Acteurs de l’Ombre une nouvelle fois. Pourquoi ne figure-t’il pas sur votre nouvel et second EP Truth ? C’est dommage pour ceux qui n’ont pas acheté le single… (sourires)
Nous avons pris beaucoup de plaisir à mettre en forme ce single, mais nous avions conscience qu’il s’inscrivait bien plus dans la lignée esthétique de certains morceaux de Brutalism que dans l’esprit des compositions qui ont suivi. Notre intention est autre avec Truth. Nous sommes soigneux de la narration de nos disques, de leur intégrité. C’est pourquoi « Black Core » est juste sorti en tant que single. C’est un morceau dont nous sommes très heureux mais il n’avait pas sa place sur Truth. De plus, nous aimons le format single, qui nous paraît à certains égards plus efficace, selon les moments de la vie du groupe. Un format que nous travaillerons d’ailleurs de nouveau, sans aucun doute.

Musicalement, j’avais tendance à vous décrire sur votre premier album Brutalism comme une fusion de Black Metal industriel mêlée à du Post Hardcore, en résumé à du Metal Blackcore. Est-ce que ce titre « Back core » de votre précédent single avait pour but justement d’apporter une étiquette musicale à votre style pour tous ceux qui ne vous connaissez pas bien car finalement ça résume assez la musique de Mur, non ?
Ce morceau a été pensé comme un manifeste de ce qu’est le Black Core. Mur a son style, ce style transcende les étiquettes. Certes, le Blackcore peut partiellement définir le travail de Mur. Mais ne pas se reposer sur cette étiquette est précisément ce que nous souhaitions pour Truth.

Toujours d’un point de vue musical, ne craignez-vous pas d’aller trop loin dans le brassage sonore des genres et de vous sentir isolés peu à peu sur la scène Métal ou bien au contraire, vous ne vous fixez aucune barrière ni limite, et vous vous en moquez, au risque d’être incompris par certains ? Les limites n’étant finalement que vous-mêmes… (sourires)
Le seul genre de musique que Mur joue, c’est du Mur. La notion de genre ou de style musical conçu comme une niche cloisonnée nous est étrangère. Les scènes, quelles qu’elles soient, sont composées de personnes, dont le libre arbitre les mène vers notre musique quelle que soit leur « affiliation » musicale. Nous sommes nous-mêmes surpris par l’accueil de chacune de nos sorties. Nous prenons un plaisir infini à composer la musique de Mur et il serait bien dommage de se poser des limites à cet égard.

Vous sentez-vous proches cependant artistiquement parlant de groupes/artistes comme Perturbator ou Autarkh qui n’ont pas peur non plus de pousser des portes et mélanger l’électronique au Métal, en s’éloignant finalement beaucoup du Métal d’ailleurs avec des boîtes à rythmes et beaucoup d’effets synthétiques, loin des instruments classiques d’une formation Rock/Métal ?
Plutôt que proches d’artistes spécifiques, nous nous sentons proches d’une démarche, que certains autres artistes partagent aujourd’hui. Encore une fois, nous ne cherchons pas à mélanger des références. Les artistes que tu cites, ont, comme Mur, leur son, leur écoute et leur cœur. Ces derniers leurs sont propres. Dans la forme, nous n’avons jusqu’ici jamais cherché à sortir à tout prix du schéma instrumental Rock : y compris dans nos parties synthétiques, les choses sont jouées, et pas ou peu programmées. C’est plutôt l’unicité du caractère organique de cette musique qui nous intéresse, indépendamment des mélanges.

Pourriez-vous partager un split EP ou 7 pouces, voire carrément un album en duo avec Perturbator par exemple ? Au sein de Perturbator : êtes-vous adeptes de Synthwave dont on ressent vraiment l’influence ici plus que jamais sur cet EP Truth mais dans votre style plus dissonant néanmoins, au détriment par contre du Black Metal qui était encore présent sur Brutalism ? (je vous avais comparé parfois même à Anaal Nathrakh qui depuis lui s’est un peu calmé, leur dernier album étant probablement le plus accessible de la discographie des Anglais)
Je ne suis pas bien sûr de ce qu’est la Synthwave… Nous respectons bien sur beaucoup le travail de Perturbator, mais nous sommes surtout de grands fans de Cold Wave, New Wave, et de manière générale de la scène post Punk des 80’s. Des groupes tels que Depeche Mode, Joy Division, Bauhaus, Talk Talk, font partie de nos quotidiens respectifs. Nous aimons cette énergie, ces arrangements, ces sons, cette ouverture. Ce qui a été déplacé sur Truth, ce n’est pas le Black mais le Core. Nous avons déplacé cette énergie et des mélodies en sont apparues. Le Black Metal quant à lui reste bien présent sur ce mini album, plus encore que sur Brutalism selon moi. Les parties de batterie y sont beaucoup plus proches du Métal extrême par exemple. Cela étant, rien n’est à exclure pour la suite, et la collaboration est en général un processus qui nous réjouit.

A la fin de cet EP Truth, on a droit à la reprise du tube « Such a Shame » de Talk Talk. Pourquoi ce choix de reprise de la fin des années 80 ? Vous vous êtes replongés dans vos vieux disques New Wave durant le premier confinement ? (rires)
Nous n’avons jamais réellement cessé d’écouter la musique des années 80’s dont nous sommes tous très inspirés. Nous savions que nous allions réaliser une reprise sur ce disque et il s’avère que « Such A Shame » (de 1984) est très vite arrivé au centre des discussions… Nous avons entamé le travail de ce morceau de pop des 80’s et avons fini par y découvrir dans le détail un bijou de composition et d’intelligence musicale. Talk Talk a fait un travail fabuleux sur ce morceau et nous avons pris beaucoup de plaisir à le comprendre.

Sinon, pensez-vous que le fait que votre bassiste Thomas Zanghellini ait joué dans Mass Hysteria (live) (mais aussi Comity) ait pu influencer la musique de Mur dans le sens où l’on retrouve cette fusion d’électro assez dansante par moment comme chez Mass Hysteria ainsi que des influences Hardcore et Metal ?
La sensibilité de chaque membre du groupe est présente dans la musique de Mur. Ne serait-ce que par la façon dont chaque membre interprète cette musique, au-delà même de la composition. Nos parcours respectifs sont présents dans chacun de nos actes, de nos parcours de vie. Il en va de même pour Mur. Notre démarche est sincère. Nous sommes les mêmes en studio qu’à la ville de toute façon.

Julien, comment travailles-tu en studio et en live (dès que ce sera possible) pour toi impulser la musique dans toute cette musique parfois chaotique et brutale et très synthétique ? Tu joues au clic avec un casque et un ordinateur à tes côtés et ta batterie est-elle triggée pour la grosse caisse ? Et joues-tu sur batterie électronique ou acoustique ?
Je joue sur une Sonor SQ2, au clic, et ce, en répétition comme en live. Ma batterie n’est pas triggée. J’aime l’idée de la marge qu’accorde le live en termes d’intensité. L’énergie, c’est la perfection du live. Jouer, c’est respirer. Je travaille en revanche quotidiennement au pad. Je crois fermement dans les bienfaits d’une hygiène de vie liée à la régularité du travail.

Enfin, vous ne m’aviez pas répondu à ma question la fois dernière alors je vous la repose (sourires), à propos de votre nom de groupe Mur : s’agit-il d’un clin d’œil à The Wall de Pink Floyd en version française et brutale ? (rires) Et êtes-vous fans de Pink Floyd ?
Nous avons beaucoup de respect pour le travail de Pink Floyd. En revanche, Mur n’a pas emprunté cette association d’idée à l’œuvre des Floyd. Le terme « mur » est très évocateur ici. Il est lourd de sens. Tout comme nous envisageons notre musique, en puissance, fermeté et rigueur. Mais également dans une pluralité d’images, de sens.

Quels sont les projets de Mur pour cette année 2021 et allez-vous donner des shows live gratuits ou payants sur internet en streaming vidéo comme beaucoup de groupes le font depuis un an désormais ?
Nous allons poursuivre la promo de Truth qui est dense. Nous travaillons également à faire vivre ce mini-album via d’autres supports, d’autres associations… Le format du live stream n’est pas encore assez abouti selon nous. Nous pourrions l’envisager, mais selon nos termes. Un live stream de Mur devrait être spécial, sinon rien. Pour l’heure, nous nous concentrons à nouveau sur la composition. La scène nous manque en revanche, nous aimons ce transfert d’énergie avec le public, qui, sur chaque show, nous renvoie beaucoup. Un cycle vertueux avec le public de Mur qui nous manque tant.


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